|  Le poète ne chante pas les héros dont la France et la mère.  Ceci pourtant est une épopée �Comme le sait le tout un chacun, la critique se plaît à  reconnaître deux sortes d’épopée, l’épopée naturelle, seule véritable épopée,  et l’épopée artificielle ou d’imitation.�  L’épopée naturelle, conçue en dehors de toute visée littéraire, se  caractérise par une spontanéité entière et par une sorte d’impersonnalité dans  la création de l’œuvre qui laisse parfois même douter de l’existence de son  créateur. Homère soit-il. Elle se signale aussi par l’expression d’une foi  naïve ou superstitieuse baignant dans une atmosphère de merveilleux qui  consiste en maintes occasions dans le travestissement des faits naturels par  d’enfantines imaginations. Bien qu’il ne soit pas toujours facile de  reconnaître à travers cette féérie poétique les incidents de la vie du peuple  ou de l’homme qui sont le sujet de ces poèmes, ceux-ci tiennent souvent lieu  d’histoire. Chants nationaux, annales, code religieux et moral, enseignement  pratique, l’épopée primitive réunit tout. Elle absorbe dans le milieu où elle  s’est produite une influence indépendante de sa valeur littéraire tandis que  l’épopée artificielle, œuvre d’art avant tout, ne saurait être appréciée que  par des esprits cultivés. La critique a patiemment rassemblé les règles qui ont  régi la survie du genre. L’Abbé Terrasson prescrit que l’on doit se proposer  l’exécution d’un grand dessein. Si Marmontel ne voit pas d’obligation  particulière à choisir tel ou tel sujet, beaucoup s’accordent à donner la  préférence à un fait assez éloigné dans le temps et l’espace ou, à défaut d’un  tel fait, à un événement national. Chateaubriand veut que, si l’on choisit une  histoire moderne, on chante sa nation, mais l’action héroïque dont l’épopée est  le récit doit être prélevée dans les temps primitifs de l’histoire des peuples.  Une fois fixé sur le fait ou le héros de la fable, le poète doit s’occuper du  plan de l’œuvre, en distinguant quatre parties : l’exposition, le nœud,  l’intrigue et le dénouement. L’exposition comporte le début, l’invocation et  l’avant-scène, c'est-à-dire le développement de la situation des personnages au  moment où l’action va s’engager. Le nœud est l’obstacle qui donne lieu à  l'intrigue (Boileau insiste pour que ce nœud bien formé soit aisément dénoué).  L'intrigue, qui a été souvent la partie la plus négligée du poème épique, doit  susciter au héros des obstacles et mettre aux prises des intérêts opposés.  C’est dans le tableau plus ou moins compliqué de cette lutte que le poète  jettera un des grands ornements de l’épopée : les épisodes, qui, bien  choisis et bien placés, accroissent l’intérêt en suspendant l’action. Le  dénouement enfin apporte la clarté à laquelle aspire l’auditeur, le spectateur  ou le lecteur.
 Quoiqu’Aristote ait dit que l’épopée est une tragédie en  récit, on n’a pas songé à lui imposer la règle des trois unités. Cependant,  selon le savant calcul de P. Le Bossu, l’Iliade embrasserait quarante-sept  jours environ, L’Odyssée cinquante-huit, l’Enéide un peu plus d’un an. Un  dernier point a donné lieu à des débats confus : le merveilleux. Pour  l’épopée naturelle, le merveilleux constitue le fond même d’une œuvre naïve qui  répond à la foi du poète et de ses contemporains comme à celle de ses héros. On  l’accepte sans répugnance et sans critique. Il explique tout sans avoir besoin  d’être expliqué. Dans l’épopée artificielle, le merveilleux reste accessoire.  Il peut n’être qu’un certain ordre extraordinaire des faits naturels pris dans  la dernière limite du possible. Mais dans l’un et l’autre cas, il devient  choquant lorsqu’il fait intervenir les puissances supérieures d’une religion  tombée en désuétude au milieu de personnages qui professent une croyance  contraire. On a proposé d’y suppléer en personnifiant les vertus, les passions,  les vices sous une forme humaine et vivante dans les caractères mêmes des héros  qui en restent comme les types. Mais c’est offrir à l’épopée des moyens  d’action qu’elle possède déjà et qu’elle partage avec la tragédie. L’action héroïque, dont notre épopée est le récit, a donc  été prélevée dans les temps primitifs de l’histoire de l’Europe. On y voit une  société choisie d’hommes affrontant de surhumaines aventures, le héros et ses  compagnons, chevaliers d’une Table Ronde incarnant un idéal, chevauchant par  les sentes de la forêt d’Ardenne à la rencontre du Mal. On y voit leur lutte  contre une nature emplie d’embûches et qu’ils devront apprivoiser peu à peu. On  y voit d’idylliques paysages traversés par de gentils ruisseaux, bien faits  pour reposer des fatigues de la ville en ce mois de vacances. On y voit des  arbres désertés par les grands singes au profit des hominidés, prodiguant leur  ombre ou leurs fruits. On y voit de l’herbe qui invite à s’étendre, des ciels  nocturnes constellés d’étoiles et qui appellent la rime. Cette pastorale  symphonie s’entend loin de la ville qui n’est que désordre moral avec ses  chansons scabreuses, ses petites femmes, son goût de l’artifice. Tandis que  ladite nature calme les passions et rapproche les âmes des dieux. La nature  s’inscrit ici dans une vision hiérarchique du monde, et par conséquent doit  être respectée bien que, œuvre du créateur, elle ait subi le contrecoup de la  chute originelle.Ainsi, à côté de souvenirs d’Epinal, sommets enneigés,  nuages endimanchés, torrents cristallins, il faut affronter des sentes à  rocaille, des marécages à moustiques et des végétaux qui, tout en dissimulant  les cibles vivantes de l’artillerie adverse, cachent cette même artillerie aux  yeux des vivantes cibles. Cependant, malgré la saison et ses chaleurs, on ne  rencontrera pas de serpents, le poète ayant craint qu’on ne perçoive là une  symbolisation par trop manifestement systématique de l’esprit du mal.
 Toujours dans ces perspectives hiérarchisantes, toute  atteinte à la nature sera une atteinte à la dignité de l’homme puisque la  nature est la servante et la confidente de l’homme, c’est -à- dire le miroir  des choses humaines. Aujourd’hui la tendance veut que l’on laisse le processus  du monde de la nature au microscope du naturaliste ou du physicien et les  vicissitudes des affaires humaines à la mémoire des historiens. Pourtant, la  nature ne saurait se satisfaire d’un rôle de décor ou de champ d’expériences  pour le déroulement de l’aventure épique.
 Si l’on veut assumer, avec notre époque, que les types  anciens sont déplacés au profit de types nouveaux, que les monokinis remplacent  avantageusement les corsets lacés, que l’esprit se dégage graduellement en  suivant l’escalier étroitement tortueux du progrès pour déboucher sur la plateforme  du phare baudelairien, que l’estomac abandonne le pain néolithique et, de  musculeux qu’il était, devient suffisamment membraneux pour absorber sa ration  quotidienne de fer, d’électricité, de pétrole et de radium � Réaumur ayant  depuis longtemps facilité les digestions les plus laborieuses � tandis que la  vie -donnée biologique élémentaire � avance sur les traces de la nouveauté  après avoir déjà reconnu le passage de l’unicellulaire au pluricellulaire,  l’élévation de la température du sang et ses corollaires (le degré des passions  peut être porté à l’incandescence) ou l’apparition de la couleur, il faut quand  même avouer que notre essence d’homme ne bat pas au même tempo
 Où donc est l’obstacle ? Ne le découvrirait-on pas,  dans ce même passage de l’unicellulaire, c’est à dire de l’individualisme à la  nature sociale qui n’est autre que le monde, tel qu’il est devenu par erreur,  orgueil, honneur et autres cortèges de concepts caparaçonnés ? Nisard  affirme que pour être naturel, il faut se rendre libre de toutes les  impressions, de tous les jugements qui nous viennent du dehors et qui  substituent une fausse nature à la véritable. De ce point de vue, la nature  n’est plus le monde tel qu’il est mais tel qu’il devrait être. Aux yeux de la  société, de la bonne société, le naturel est ce que les meilleurs gens ont en  commun : un code social, des gestes et des sentiments, en un mot, une  manière de politesse.
 Politesse qui est une qualité d’homme, une huile qui se  glisse dans le mécanisme grinçant des caractères pour leur conférer l’aisance.  La politesse qui se dit synonyme d’harmonie tandis que la brutalité amène la  rupture, la fausse note, le déchirement de la partition. A l’heure tranquille,  les fauves laissent se désaltérer les gazelles. Le progrès veut probablement  que l’on aille vers l’association de l’homme et de la nature suffisamment polie  pour qu’elle se prête au jeu de la politesse des hommes ; la politesse,  vertu sociale, étant encore la meilleure des vertus conjugales. Il faudra donc  débarrasser la nature de ses anges, de ses monstres, de ses voix (" Tu  seras polytechnicien ", criait l’une d’elles à l’artilleur Boumbois). Dei  ex machina de l’épopée, des spectres de l’imagination qui errent sur le coup de  minuit dans les couloirs déserts d’un romantisme d’antan, avec leur suite de  pressentiments, prédictions, prophéties.
 D’où ce pressant besoin de retraite souvent ressenti par les  gens élus ou monothéistes malgré les complications d’ordre frontalier ou  linguistique qui en résultent de temps à autre. Au commencement était le Verbe  ou, si l’on veut, l’unité. Peugeot et Krupp en débattent sur le pré avant de  regagner les Invalides ou le Kriegsmuseum, tout comme M. Léclusas, d’instinct,  ôte sa casquette de marinier surpris dans sa bonne foi.
 Qui dit progrès ne signifie pas, nécessairement, oubli du  passé, reniement du père par le fils à la manière de Gravelotte mais retour de  l’homme à l’homme, même si celui-ci, en apparence, semble avoir touché aux  limites de son évolution, même si depuis deux cent ou trois cent mille ans, son  cerveau n’a pas augmenté de volume � la forme des crânes ayant seule varié �  même si ses capacités intellectuelles paraissent avoir atteint un maximum  d’intensité. Que l’homme se soit formé progressivement par une transformation  synchronique de tous ses appareils, parut longtemps d’une évidence rare. Mais  il faut pourtant se rendre à une autre évidence : dans la formation de  l’homme certains appareils ont évolué très vite, d’autres très tard. Certains  ont achevé leurs évolutions, d’autres sont au contraire encore en voie de  transformations.
 Le phénomène se retrouve dans la nature telle que nous la  concevons. Les petites vieilles, dans les plis sinueux des vieilles capitales,  circulent d’un pas aussi allègre que leurs homonymes champêtres dans les  grand’rues de villages mais on dit que la campagne affaiblit le tonus  intellectuel des boy-scouts et que tout le monde ne supporte pas d’entendre  gueuler les rossignols. A chacun sa Nature, donc. Ces distances abolies, ces  nuits et ces journées qui se confondent, ces prophéties chevauchant un pied sur  le Passé, l’autre sur l’Avenir, ces échos stationnaires� et qui n’en finissent pas de vibrer au  diapason du destin, voilà la réponse fournie par la nature à toute question à  elle posée comme l’exige la constante qui accouple les étalons de la longueur  et du temps, tandis que, dans le champ guerrier ou amoureux de gravitation  intense des âmes, le déplacement des raies spectrales n’engendre que la  vérification de la loi de tendance au bonheur ; puisque , sensible aux  mêmes joies et aux mêmes tristesses depuis des millénaires, il semble bien que  notre espèce soit régie par la loi de constance intellectuelle et la loi de  constance affective � aussi solidaires l’une de l’autre qu’elles le sont de la  constante susnommée. Mais pas plus que les gouttes d’élixir de longue vie ou  d’alcool de menthe ne préexistent en tant que telles dans le compte-gouttes ou  dans la bouteille, ainsi les conflits guerriers organisés ne sauraient  préexister dans le compte-troupes ou uniforme. Le flacon fait parfois naître  l’ivresse. La guerre est généralement l’affaire des jeunes gens. La Nature les  accueille ici en sa maturité du mois d’août, peut-être parce que le naturel  n’est pas la qualité des jeunes gens. Il en est de l’expérience de la pensée,  comme des exercices du corps : quand on commence à apprendre l’escrime, la  danse, l’équitation, on emploie presque toujours trop de force, on fait de trop  grands mouvements et l’on réussit moins en se donnant beaucoup de peine. Pèse  ici la sagesse des anciens ou chefs qui vont toujours à l’économie ou à la  litote.
 Que nous nous présentions comme des moisissures évoluées de  la terrestre écorce ou que l’aventure humaine oscille vers une direction,  suivant les conseils de P. Le Bossu qui veut que l’épopée renferme une vérité  morale sous le voile de l’allégorie � et malgré les ricanements de Pilate, nous  essayerons de dégager la vérité, qui sera celle de la nécessité de survivre,  même si tout adulte n’est qu’un rescapé. Sublimation de l’instinct sexuel,  infrastructures de production et de consommation recouvrant le principe moteur  des superstructures idéologiques, lutte pour la vie, volonté de puissance  faisant de la raison une simple idiosyncrasie de quelques espèces animales (la  poule d’eau élevant deux couvées successives afin que la première veille sur la  seconde; les maîtres-coqs imposant aux mâles de rang inférieur, sous-coq et  coqs de garde, une psychologique castration) et de la morale, une quelconque  évolution vitale de l’adaptation � nous éprouvons avant tout la joie d’être  vivant, de nous servir de nos cinq ou six sens (même si la mémoire des vieilles  gens devient parfois presbyte avec l’âge, même si l’œil se prend à écouter aux  portes de la connaissance) nous éprouverons la joie de percevoir la réalité du  corps malgré les fugues de l’imagination communes à tous les adjudants  darwino-wallaciens. Pourtant, il faut rendre à ces Césars cette justice que,  sur cette terre, autel immense imbibé de sang � malgré l’odeur de la poudre et  la vertu enivrante du risque, dans son méritoire corps à corps contre la  destinée qui le cantonne dans un rôle d’innocent meurtrier, le soldat,  dépositaire d’un honneur, débris d’une antique vertu chevaleresque autrefois  nommée orgueil, amour-propre ou envie, n’est plus jugé que sur le volume de son  compte-courant bancaire.
 Tout n’étant pas nécessairement vieux dans ce qui est  ancien, le moine Mendel nous a assurés que toute variation de caractère, toute  mutation survenue chez un individu, ne disparaît pas en se perdant dans les  caractères des individus demeurés immuables, mais peut continuer à se  manifester et devenir l’origine d’une lignée particulière. Vigny avait  pressenti la chose lorsqu’il écrit que " l’existence du soldat est (après  la peine de mort) la trace la plus douloureuse de barbarie qui subsiste parmi  les hommes ". Il faut donc aider le soldat à disparaître � comme il est  venu � dans l’honneur, naturellement.
 Mais il ne convient pas de tout attribuer à la Nature, car  si la nature est la matière du poète, c’est son art qui lui donne la forme.  Quand on fait un ouvrage, dit Joubert, il reste une chose bien difficile à  faire encore, c’est de mettre à la surface un vernis de facilité, un air de  plaisir qui cachent et épargnent au lecteur toute la peine que l’on a prise. Le  style n’est pas toujours de l’homme. Il est souvent accompagnement d’une  émotion ou pulsation d’époque, prise à ce moment si désagréable pour beaucoup  de profanes où les musiciens d’orchestre essaient leurs instruments. Notre  épopée presque saisie au fur et à mesure de son improvisation, avec ses  refrains et ses envois, voit la récurrence de formules toutes faites,  d’idéologies sclérosées par l’expression verbale. D’archaïques épithètes de  nature, des reliques fossilisées d’un passé lointain, voisinent avec des  dissonances plus contemporaines de timbre. Cependant, la nouveauté ne consiste pas nécessairement à  passer des mots à la déclinaison ou de l’abstrait mais de laisser quelquefois  le concret envahir quand l’émotion se fait intense. Les choses sont mentionnées  de façon directe, parfois brutale, mais il ne faut pas prendre pour bas et  grossier ce qui est seulement naïf et rustique. Le conflit qui constitue le  fond de toute épopée se retrouve dans le style. Lutte entre les innovateurs et  les puristes, les hellénisants et les grécisants, les occitanisants et les  provençalisants. Lutte entre ceux qui veulent faire passer dans le français un  peu de la qualité gracieuse et sonore des langues romanes et ceux qui veulent  maintenir le parler de la Villette ou de la Buttes au Cailles. On sait combien  la grammaire exige d’habitudes de pensée collective : les revues d’y-celle  se succèdent. Prononciation euphonique ou non, orthographe mouvante, les  instruments phonétiques montrent qu’il n’existe pas d’intervalle entre les mots  parlés (intervalle ou relation entre deux évènements, ces derniers constituant  la substance de la physique-nature tandis que, formé en faisceaux, le soir à  l’étape ils sont la matière de la journée) et que de l’émission de la voix dépend  l’unité de la phrase et, partant, l’harmonie.
 Restent enfin les images. D’ornements externes elles  deviennent souvent moyen d’expression indirecte, enlevant l’émotion, fouaillant  les familles d’idées. Chaque fois que le dialogue se laisse déchirer par le  vent ou la fureur, elles le remplacent audio-visuellement du mieux possible,  fourrant les pensées dans les outres des sensations. Car le public qu’on ne  peut conduire au théâtre � sinon sur celui des opérations � montre des goûts  qu’il faut satisfaire par quelques recettes jusque-là réservées à la forme  dramatique : succession de tableaux ou évolutions (en termes de guerre on  entend par évolutions de� ligne des  mouvements que l’on fait exécuter à un ou plusieurs régiments ou à tout un  corps d’armée tels que changements de front et de position, mouvements de  lignes en avant et en retraite, formation des carrés, etc.) qui relèvent de la  mise en scène à une époque où le cinématographe , muet encore, impose déjà son  vigoureux staccato, bien que l’on songe encore peu à l’opérateur secret, resté  dans l’ombre et de qui partent tous les fils du drame mis en lumière; problème  de bruitage, cette autre forme� du relief  dans lequel s’étire notre fresque animée. Si la musique consiste à combiner les  sons d’une manière agréable à l’oreille, si son but est d’émouvoir par le  concours de la mélodie, de l’harmonie et du rythme, il faut se rappeler que cet  art ne considère pas seulement la succession et la simultanéité des sons mais  qu’il s’occupe en même temps de leur intensité et de leur timbre. La gageure  était double, puisque selon Renan, l’épopée disparaît avec l’artillerie.  Cependant, chocs entre les mots, échos, roulades, roulements, résonnances ne  sauraient étouffer le contre point d’ensemble.
 Le poète ne chante pas les héros dont la France est la mère,  les exploits d’hommes de la commune mesure pétris d’une même farine qui se  battent et meurent pour un idéal dont la plupart n’ont pas la notion, ou la  lutte de l’homme contre lui-même, contre ses Frères ou contre la nature ;  le poète ne chante pas les douleurs et les joies que la sensibilité apporte à  l’être humain dans son commerce avec ses semblables. Il ne déroule pas  l’histoire des destinées de l’humanité, de la marche de celle-ci, de ses chutes  et de ses progrès sur une route de finesse qu’éclairerait sans cesse un nouveau  jour géométrique tandis qu’au sortir du chaos et de l’enchevêtrement des  passions, se ferait quelque vivante opération de l’esprit qui tendrait vers  l’harmonie, fille de la musique.Le poète n’a pas  pensé un seul instant qu’une âme de bien se cachait  dans les choses mauvaises " pour peu qu’on sache l’y voir et l’en  exprimer ". Ceci pourtant est une épopée. Le poète ou " moi " ou  héros en qui certains verront peut-être l’individualisation de l’expérience  collective, se signale par certains frémissements d’émotivité, c'est-à-dire par  une espèce de sentiment de la présence simultanée du corps et de l’âme en une  même enveloppe.
 Le poète s’est gardé d’oublier que le drame ayant commencé  au moment où le Verbe tira le primate de la glaise ou, plus vraisemblablement,  du calcaire, l’épopée ne saurait être que le récit de la lutte et des  atermoiements que fait naître le refus vain et peut-être insensé du retour à la  glaise ou au calcaire. Là est l’intrigue, le reste constituant les épisodes.  Car politique et raison d’état sont bien des idolâtries et les enfants cyriens  doivent se garder des idoles surtout de celle de pierre ou de métal que  projettent les arbalètes ou les frondes de la balistique polycentralienne et  qui ont une fringale de sang humain égale à celle des Dieux les plus goulus des  religions oubliées ou encore vivaces. Si être c’est lutter, vivre c’est  certainement vaincre - hors de cela, point d’épopée.
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