ADG-Paris
 

Partez pas comme ça Grand-Père ou Le temps des Idoles

 
Partez pas comme ça Grand-Père ou Le temps des Idoles Content : Epopée évolutionniste discontinue
Préface (amovible ou postiche)
Musique
L’exposition
Musique
Mon beau chevalier
Mon Bel Epistolier
Ma petite squaw
Mon beau Centaure
Mon automobiliste chéri
Belle amie
Ma tendre raisonneuse
Très cher
Ma Dame
Aigle de ma pensée
Mon Egérie
Mon grand chéri
Belle
Mon bel Educateur
Belle comtesse
Chéri
Mon bel officier
Mon Arc en Ciel
Mon colonel adoré
Ma belle géomètre
Mon éloigné
Mon Paladin
Ma belle infirmière
Mon Aimée
Votre héroïne … mitigée
Mon fier indépendant
Infidèle hirondelle
Mon beau Titus
Ma belle cantinière
Mon adoré
Votre étoile du soir
Mon cher grand puriste
Mon bel Augereau
Ma belle courageuse
Indignée également
Belle enfant
Votre Phoebus
Mon seul philosophe
Ma petite raisonneuse
Mon seul philosophe
Ma Douce Réfléchie
musique
L’intrigue
Le dénouement
postface
english
french
german


L’exposition

 

« Vive la guerre ! » criaient les boulevardiers en juillet 1870, tandis que Georges Clémenceau regardait aux vitrines une image qui montrait un troupeau d’oies acclamant un cuisinier armé d‘un couteau pointu.

Vive le pâté de foie gras », disait la légende ».

Vous me dites, mon cher jeune ami, craindre que cette guerre ne soit pas aussi chevaleresque qu’on veut bien le laisser entendre de l’autre côté du Rhin, et que l’esprit courtois dans le combat, ce quelque chose qui rappellerait le temps des tournois, vous paraît de moins en moins de mise, à mesure que vous parviennent ordres ou renseignements recueillis chez nos adversaires.

Litzmann et Von Bernardi se montraient pourtant pleins de sollicitude envers les faibles. Ils tenaient tant à ce que la guerre entre les peuples civilisés ne soit pas « menée à la façon des tigres », ils ne voulaient pas de cruauté inutile et entendaient soumettre tout acte de férocité gratuite à la justice de l’opinion publique. Vous rappelez-vous comment Monsieur Rathenau nous présentait, à nous Français, sa demoiselle Allemagne, dans le fol espoir de devenir le beau-père de notre pays ?

L’amour-propre, l’orgueil sont chez nous les grands ressorts des âmes collectives et individuelles. Cela elle le sait bien, mais elle ne veut pas entendre parler du vieux procès des Latins face aux Germains. Grâce, fantaisie, liant qui font le charme de l’esprit français lui manquent. La bière épaisse, la saucisse indigeste, les propos grossiers, on les lui reproche assez souvent. Mais Germanie espère cependant que France oubliera vite ses flirts russe ou anglais pour pencher enfin vers la raison.

Eh bien non ! Nous n’en sommes pas encore là et nous n’en prenons pas le chemin, Dieu merci.

A propos de Dieu, on se demande jusqu’où ira le blasphème, mon fils. Il paraîtrait que dans l’après-midi du 31 juillet, 50.000 personnes se seraient rassemblées devant le palais du Kaiser pour acclamer vivement et longuement l’empereur et l’empire. A 16 h 15, le Kaiser se serait montré à une fenêtre. L’enthousiasme de la foule aurait alors atteint une sorte de frénésie au fur et mesure que le Kaiser énonçait d’une voix forte ; « C’est un jour et une heure sombre pour l’Allemagne. Des gens envieux de tous côtés nous force à une juste défense. L’épée est placée de force dans nos mains. J’espère que si, à la dernière heure, mes efforts ne réussissent pas à amener nos adversaires à s’entendre avec nous et à maintenir la paix, avec l’aide de Dieu, nous userons de l’épée de façon telle, que lorsque tout sera fini, nous la remettrons dans le fourreau avec honneur. Une guerre réclamerait de nous d’énormes sacrifices d’existences et d’argent, mais nous montrerons à nos ennemis, ce que c’est que de provoquer l’Allemagne. Et maintenant je vous recommande tous à Dieu. Allez à l’église, agenouillez-vous devant Dieu et priez-le de soutenir notre brave armée. »

Nous sommes bien persuadés que Dieu choisira les siens, mon fils. Car l’orgueil de cet homme ne connaît plus de bornes. Ce nouveau Néron veut gouverner l’incendie qui détruira Berlin.

A-t-il la prétention d’enrôler le seigneur dans l’un de ses régiments de Uhlans ? César, plus avisé, n’osa jamais imposer à Jésus ni lance, ni bouclier. Mon cœur de vieux prêtre s’est serré en lisant toutes ces jérémiades, jusqu’à l’instant où il a appris que le vénérable Cardinal Amette a, à son tour, présidé la cérémonie d’ouverture de la semaine de prières qu’il avait ordonnée. A Notre-Dame-des Victoires, par centaines, les cierges brûlent autour de l’autel de la Vierge Miraculeuse devant les ex-voto de croix militaires. Dans toutes les paroisses nous prions et pensons à vous.

Quant à votre étonnement devant le comportement, à la veille de la déclaration de guerre, de ces deux officiers allemands d’un régiment de chevau-légers, cantonnés à Dieuze, qui avaient interpellé Monsieur Nicolas, marinier – celui-ci s’était permis de leur faire remarquer qu’ils s’étaient égarés fort avant en territoire français – en lui jetant : « Tais ta g…., sale grosse tête de Français ». Ce qui leur valut un « Félicitations pour votre bonne éducation, messieurs », outre que les chevau-légers ont toujours eu la réputation de franc-parler, leur commerce avec l’habitant s’est souvent soldé par des échecs d’importance. Le comte de Bussy Rabutin commandait quatre-dix maîtres, chevau-légers du Prince de Condé. Quatre d’entre eux, logés chez un bourgeois de Nîmes, y commirent mille insolences dont la plus cruelle fut à l’endroit d’une pauvre fille, cousine du maître de maison qui ne peut que se réfugier éplorée et défaite auprès de Bussy pour le supplier de lui laisser passer la nuit dans sa chambre en l’assurant qu’elle préférait son honneur à sa renommée.

Les mœurs de l’époque, me direz-vous, manquaient d’affinement. Pourtant la tradition voulait qu’à la Cour de France, la quête du carême soit faite par une grande dame qui fût en même temps une jolie femme. L’une de celles-ci passa donc un dimanche devant le comte d’Artois qui déposa une offrande en murmurant :

— Pour vos beaux yeux, Madame.

Adorablement surprise, la quêteuse esquissa une moue de satisfaction avant de tendre à nouveau l’aumônière :

— Pour les pauvres, maintenant, Monseigneur, s’il vous plaît. Le prince s’exécuta en souriant.

Vous allez me trouver d’humeur légère, mon fils, mais je songe parfois que vous êtes entouré d’hommes dont le portefeuille cache jalousement le portrait d’une femme aimée ou quelque carte postale illustrée non pas toujours du meilleur goût et il est bon que vous sachiez que les plus belles de nos paroissiennes pourraient manifester la plus folâtre des humeurs – si la volonté de Dieu n’était précisément, ce qu’elle est, car les desseins du Seigneur ne sont pas toujours transparents, pour le commun de l’humanité. Les plus exposés ne sont pas nécessairement les plus en péril. Vous souvenez-vous du ridicule accident dont fut la victime le professeur Carlo Boudet alors qu’il se reposait sur les bords du lac d’Annecy. Le distingué professeur mourut étouffé par une tête de poisson malencontreusement bloquée dans son gosier et qu’on ne pût extirper à temps.

Et les vieux ? Croyez-vous qu’il leur soit agréable d’attendre cachés au fond de leur retraite l’appel pour un combat qui ne sera pas des plus glorieux ?

Les jeunes ont l’activité du corps, les femmes la charité et la prière pour combattre cette tension nerveuse qui s’accroît chaque jour. Mais les vieux qui n’ont pas été exercés dans les hôpitaux ne sauraient s’y rendre utiles à présent, sauf comme économes ou dépensiers. Quelle chance ont-ils d’intéresser leur esprit et leurs bras à quelque noble tâche ? Ne pourrait-on leur faire compter les cartouches, les souliers, les guêtrons ? Ne pourrait-on pas leur faire garder les prisonniers ? Les Belges en auraient capturé plus de 3 000 qui, vu l’exiguïté de leur territoire, vont être envoyés en France pour être internés avec les  1 200 ou 1 500 Allemands tombés entre les mains de nos troupes de couverture. Ces prisonniers n’ont pas le moral très vigoureux et, qui plus est, semble ignorer les causes de la mobilisation. « Ce n’est pas une guerre populaire, c’est une guerre d’officiers », affirment-ils. Mais comprennent-ils, comme l’explique si justement un de nos penseurs, que la guerre fait partie intégrante de la mort.

Nous serions des sots et des ingrats si nous étions capables de ne pas évaluer tout ce que nous devons de reconnaissance à la mort… qui établit le prix de la vie, en constitue l’inquiète, l’émouvante et bouleversante douceur… sans la mort, la vie, garantie éternellement, ne serait plus qu’une bâilloire à perpétuité ». Je suis vieux, j’ai fait mon temps mais n’est-ce pas le Seigneur qui choisit ? Je pensais à l’étrange destin de Vaucouleurs en Lorraine d’où partirent deux jeunes filles qui se firent, chacune, obéir d’un roi de France : Jeanne pour le salut éternel de sa patrie la Dubarry pour le divertissement d’une heure ; mais toutes deux, la sainte et la courtisane, sont mortes suppliciées. Je pensais à Marie, la mère de Jésus, à qui l’ange ordonna de se préparer alors qu’elle avait soixante-trois ans. Docile, elle courba la tête une nouvelle fois. Voyez notre Saint-Père. Une lettre reçue de Rome confirme que Pie X est bien mort de la guerre, de cette guerre dont il pressentait la venue. A plusieurs reprises, il avait renouvelé les témoignages de l’amour qu’il a toujours manifesté envers la France et exprimé la confiance qu’il avait en la protection de Jeanne d’Arc ; le sort de la Belgique le préoccupait aussi, grandement.

 Ah, malheureuse guerre abominable. Elle me fera mourir. Et il mourut.

 La guerre ne saurait être longue, mon fils. Vous serez bientôt de retour dans votre paroisse.

J’ai retrouvé cette prophétie solognote d’avant 1793 : « Quand les hommes voleront comme les oiseaux, dix grands rois entreront en guerre les uns contre les autres. Tous les hommes partiront à la guerre. Les femmes feront les moissons toutes seules. Elles commenceront les vendanges et les hommes les termineront. »

Nos mondaines préfèrent écouter Madame de Thèbes qui, dans son almanach, nous promettait une année 1914 « fulgurante ». L’année 14 verra des guerres, des cataclysmes, des scandales ; mais aussi, elle verra de beaux élans d’héroïsme ; des réformes fécondes, l’avènement d’hommes jeunes épris d’idéal. La France sortira de ces épreuves plus glorieuse et plus forte. Que pouvons-nous souhaiter de meilleur, d’après cette dame ? Nos mondaines ont aussi un faible pour les précisions de Madame Lenormand :

« Nous aurons, d’ici peu, une guerre européenne déclarée par l’Allemagne et ce sera l’anéantissement de cette dernière. Jamais ils ne pourront s’en relever. Nous reprendrons l’Alsace et la Lorraine, Guillaume verra son étoile pâlir et mourra misérable abandonné de tout et de tous. Il assistera au triomphe de la France. La guerre sera de courte durée ». 

Nos mondains, eux, ont pris leur parti de la chose. Pour eux, le repos engendre la couardise. Le rêve de la paix universelle c’est de l’utopie et il n’est pas certain que cette dernière soit désirable. Dante n’aurait pas écrit sa Divine Comédie dans les mollesses épicuriennes des Médicis, Michel Ange n’aurait pas peint la Chapelle Sixtine aux jours quiets de Benoit XIV ; Montaigne se retranchait dans ses Essais des fureurs de la guerre civile ; Bossuet et Molière répondent à Turenne et à Condé et l’incomparable explosion spirituelle de XIX° siècle est due aux enfants conçus pendant l’étonnante épopée de la Révolution et de l’Empire. Pour éviter la mort du champ de bataille, échappe-t-on à celle du lit d’agonie ? Il y a, à la porte de nos villes, des champs de carnage sur lesquels tombent plus de combattants que dans les guerres les plus meurtrières. Savent-elles les pauvres mères qui pâlissent   à la pensée de la guerre combien de leurs enfants sont enlevés en Europe par la phtisie ? Un million par an. Toute vie ne se soutient que par l’immolation d’autres vies. Où fuir la mort ? Nous dévorons en attendant d’être dévorés et le guerrier lui-même qui retourne sauf au foyer en vient souvent à la regretter la guerre.

Napoléon apprenant que Marie-Louise, emmenant son fils, est partie d’Orléans pour Rambouillet afin de se livrer aux Autrichiens, a voulu en finir. Puis acceptant de régner à l’Ile d’Elbe il traverse la France pour rencontrer, selon les lieux, des accueils sympathiques ou hostiles. Violemment attristé par le contact de nos foules méridionales particulièrement agressives, on a dit qu’il avait eu peur. Peur l’empereur ! C’est l’horreur qu’il a ressentie. Soldat imbu de l’idée de discipline et d’ordre social, il a éprouvé contre ces foules d’émeutiers en délire, ces cris, ces odeurs, ces brutalités, une répugnance véritablement physique. L’idée qu’on pût porter la main sur lui, le saisir, l’entraîner, le rouler dans la boue, le déchirer, lui infliger des supplices comme à Foulon et à Prina, cette idée le hérissait. Voilà tout. Il avait quarante ans, comme beaucoup de ceux qui vous entourent et qui ont, avant de partir, placardé sur la porte de leur boutique : « Le patron se rend à la frontière dans la ferme intention de repousser les barbares germains. »

Ou « le magasin sera fermé jusqu’à mon retour de Berlin. A nous les casques à pointe ».

Par ailleurs, notre armée aérienne est entrée brillamment en ligne. Deux de nos aviateurs, reprenant l’héroïque projet conçu par Legagneux de faire flotter nos trois couleurs sur la ville de Metz, sont allés survoler la ville et sa forteresse en laissant tomber quelques bombes sur les hangars où les zeppelins-Léviathans se terrent à l’écurie.

Un télégramme de général Joffre confirme le succès de nos troupes en Alsace et en Lorraine. Notre cavalerie est à Château-Salins. Les Allemands subissent des pertes énormes. Notre artillerie a sur eux, dit le petit bleu du généralissime, des effets démoralisants et foudroyants.

Oui nous verrons de grandes choses, mon fils !

Aux armes, donc, comme nous le demande si magnifiquement Georges Clémenceau. « Aux armes, tous. Il n’y aura pas un enfant de notre sol qui ne soit pas de l’énorme bataille. Mourir n’est rien Il faut vaincre. Et, pour cela, nous avons besoin de tous les bras. Le plus faible aura sa part de gloire.  Il arrive, dans la vie des peuples, une heure où passe sur les hommes un ouragan d’épopée… »

 

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